Deux continents, cinq artistes, Tissages et métissages est un spectacle qui relie ancien et nouveau monde, Brésil et Europe, avec l’ensemble Alma Brasileira : autour de la voix de Caroline Magalhães, elle-même issue des deux cultures, du violoncelle de Cécilia Bouchet-Ferrier et du piano d’Anne-Catherine Kaiser. à l’interprétation de la musique du Brésil et de l’Europe des années 20, s’ajoutent les performances scéniques de Didier Beauvalet et les interventions visuelles de Jean-David Delépine.
Celui-ci intervient sur deux écrans : l’un est l’écran “mémoriel“, où sont projetées des images d’archives, évocations des compositeurs et de leurs univers. Le second nous emmène dans un monde intemporel, monde du voyage, du rêve, à travers des vidéos et des photos qu’il a réalisées et qu’il accorde à la musique. Une part d’improvisation s’ajoute aussi quand il filme en direct des images du spectacle, qu’il projette puis refilme à l’écran, créant un abyme d’images qui deviennent oniriques, irréelles, mystérieuses.
Le spectacle a été donné en 2012 à Saessolsheim et à Francfort, et accueilli avec enthousiasme par le public.
Exotisme : des hommes et des femmes européens du XIXe siècle ont rêvé d’un monde primitif, originel ; des pays où le soleil brille et les désirs s’expriment avec naturel, où l’homme est en communion avec la nature. Dans leurs musiques, Debussy ou Ravel, à l’aube du XXe siècle, cherchent à exprimer une certaine atmosphère, où les parfums, les couleurs, les images, sont évoqués à travers les sons, les mots.
Peut-on parler aussi d’une forme d’exotisme, quand des compositeurs « savants » brésiliens (comme Luciano Gallet ou Heitor Villa-Lobos) cherchent à comprendre et/ou assimiler des musiques du folklore de leur propre pays ? Quand une chanteuse comme Elsie Houston, brésilienne, métisse, qui a pris des cours avec Lili Lehman, grande chanteuse allemande, interprète des chants du candomblé (religion afro-brésilienne), sur scène, dans un cabaret à New York en 1940 ?
Dans un cas comme dans l’autre, on « parle » de ce que nous ne sommes pas, de ce qu’on désire être, ou de ce que l’on est en partie, ou de ce qu’on rêve d’être ou d’avoir...
Musique populaire : on ne décide pas, on ne cherche pas à l’être, on EST musicien, pour soi et pour les autres. Chiquinha Gonzagua, femme émancipée (divorcée en 1870 !), pianiste, compositrice, chef d’orchestre, autodidacte, assimile les rythmes brésiliens aux danses de salon importées d’Europe (notamment la Polka) et donne naissance à de nouvelles formes : Tango-polka, Tango-brasileiro, ancêtres de la Samba brésilienne. La vitalité des rythmes, l’humour des textes souvent écrits pour la scène, le souci d’actualité dans un esprit de revue, sont gages de popularité.
N’oublions cependant pas l’importance de la tradition écrite, de la transmission du savoir. La France rayonne culturellement à travers le monde en ce début de XXe siècle : le Brésil, large dépositaire de toute cette richesse l’intègre dans la littérature, la musique, le théâtre, les arts plastiques ; les institutions, les académies puisent dans les modèles français. Dans les familles aisées, on parle le français. Paris, ville lumière, apparaît comme l’univers de la sophistication, du raffinement, de la modernité, du rêve... La boucle est bouclée, on est toujours attiré par ce que l’on croît ne pas être, ce que l’on voudrait être, là où on voudrait aller...
D’un côté ou de l’autre de l’océan, le partage, le voyage, les échanges nous incitent à continuer cette aventure ! (Caroline Magalhães)
Si l’on mesure l’impact d’une œuvre d’art à la trace qu’elle laisse dans l’imaginaire de ceux qui la contemplent, alors « Tissages & Métissages », le spectacle donné dimanche après-midi dans la nouvelle salle des fêtes de Saessolsheim, rénovée et acoustiquement performante, fut une grande réussite. Le public d’ailleurs ne s’y est pas trompé et s’est rendu nombreux à l’invitation de la compagnie Alma Brasileira ce 3 décembre à 17 h 30 pour découvrir les liens tissés entre la France et le Brésil au tournant du XXe siècle.
Un voyage, une traversée en images, en sons et en musiques ont évoqué les ponts jetés par dessus l’océan entre les climats, les cultures, l’ancien et le nouveau. La voix délicate et fraîche de Caroline Magalhães mêlée aux sonorités chaudes et subtiles du violoncelle de Cécilia Bouchet-Ferrier, toutes deux soutenues par le jeu à la fois discret et pertinent, toujours précis et sensible du piano d’Anne-Catherine Kaiser ont décliné durant deux toutes petites heures leur passion pour ces musiques des deux rives. L’éclairage des images de ces peintres sonores que sont Debussy, Satie, Fauré ou Ravel par les rythmes hispaniques d’un Manuel de Falla, ou ceux plus exotiques d’un Villa-Lobos ou d’un Luciano Gallet cherchant à « comprendre et/ou assimiler le folklore de leur propre pays » a judicieusement été contrebalancé par les chansons et mélodies à danser de Chiquinha Gonzaga, compositrice unifiant la culture de la vieille Europe à celle si vivante du Brésil afin de créer du neuf et du vivant.
C’est cette nouveauté, cette emprise dans notre réalité qu’ont évoquées les deux complices qui donnent à ce qui aurait pu juste être un très beau concert sa dimension de spectacle complet. Passionnés de sons et d’images et virtuoses des technologies d’aujourd’hui, ils ont mis leurs compétences au service des musiques afin de créer les paysages évocateurs : longs plans de nuages parcourant le ciel, de bâtisses de style colonial entourées de végétation, images en mouvement d’oiseaux, de voyages, de traversées où passé et monde contemporain se rejoignent....Jean David Delépine cherche à donner un supplément de sens au « Tissage » en l’ancrant dans une réalité contemporaine, celle du visuel et de l’image numérique. L’approche sonore pleine d’humour et de poésie de Didier Beauvalet ajoute quant à elle la touche de surréalisme et de fantaisie qui donne à l’ensemble la légèreté méditative qui fait les grands moments.
Ce fut un très beau spectacle qui résonne et rayonne encore, laissant la trace d’une vraie rencontre entre les civilisations, croisant les mondes classiques et folkloriques, désuets et pourtant vivants, gais et profonds à la fois, toujours originaux. Un « Tissage » lumineux... (Isabelle Sainte-Marie, D.N.A.)